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Lectures SF- Critiques 12 08/12/07 |
Paradoxalement, alors que l'âge d'or de l'édition de SF en France est loin derrière nous, la production d'ouvrages sur la Science-fiction ne se tarit pas. Pour ne citer que les derniers parus, Science-fiction. Une littérature du réel de Raphaël Colson et André-François Ruaud1, dont mon petit doigt me dit qu'il va recevoir bientôt un prolongement plus développé, ou 100 mots pour voyager en Science-Fiction de François Rouiller2.
Mais, même s'ils les renouvellent plus ou moins, ces ouvrages de sortent pas vraiment des deux problématiques qui ont guidé la majorité des productions en la matière, la problématique historique d'une part, la problématique thématique d'autre part. C'est la raison pour laquelle la parution récente de l'ouvrage d'Irène Langlet, La science-fiction. Lecture poétique d'un genre littéraire3 est particulièrement bien venue : elle a l'ambition de nous amener sur les chemins, relativement peu fréquentés en ce qui concerne la SF, de la stylistique, de l'analyse littéraire ou de la narratologie. Il fallait donc absolument parler de cet ouvrage, comme l'on fait d'ailleurs nombre de publications4.
L'habituelle quatrième de couverture : |
(c)Armand Colin, 2006 |
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Bon… Passons sur ces envolées lyriques et ces exagérations épiques, et intéressons-nous plutôt à l'ouvrage lui-même. |
Le meilleur du livre, à mon sens, se trouve quand Langlet arrive à s'en tenir à son objectif : mener une analyse littéraire. Il se situe d'abord dans la première partie, "outils de mécanique science-fictionnelle" où l'auteur met en lumière différents mécanismes de construction d'objets ou de concepts a priori "incroyables", et leur articulation. Elle va de l'élémentaire (le vocabulaire) au global (les formes narratives) de manière très convaincante, en s'appuyant fortement sur les travaux de deux chercheurs peu ou mal connus chez nous : Richard Saint-Gelais5 et Darko Suvin. |
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Le second chapitre est tout aussi intéressant : il répertorie les formes que peut prendre un roman de SF : roman linéaire sous ses différentes formes, bildungsroman, utilisation très variée des techniques de point de vue narratif, jeu avec la "polytextualité" (montages-collages, textes insérés, exergues, etc.) Les outils utilisés peuvent être de caractère très général, ou au contraire profondément liés aux particularités de la SF. Beaucoup plus loin (pp. 197 sq.) dans des passages tout aussi passionnants, elle décrira des techniques voisines chargées de présenter la xéno-encyclopédie qui décrit l'environnement dans lequel se déroule l’intrigue d'un texte de fiction. |
Elle évoque à ce sujet divers points qui lui semble devoir mériter approfondissement, la prééminence étatsunienne des pulps, le "tournant Campbell", l'exportation de la SF US dans les années cinquante, et jette un coup de projecteur sur les spécificités des situations française, québé-coise, allemande, etc. Elle met enfin les auteurs de ses quatre "romans-compagnons" dans le contexte d'une "marginalité" historique et culturelle fondamentale, qu'elle détaille avec acuité, dans des passages du plus grand intérêt. |
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Le second thème de cette partie historique qui, en fait, ne l'est plus vraiment ici, est consacré aux rapports avec la science. |
De toute façon, cette prééminence du "mot" sur la "chose", elle n'arrive pas elle-même à l'admettre complètement, et tout l'ouvrage est parsemé d'allusions au fait que la SF a une relation centrale avec la science, et s'appuie sur l'hypothèse d'une fiction "techno-scientifique" (p. 60). La comparaison qu'elle fait entre deux descriptions de décollage de vaisseaux spatiaux, l'une dite "naïve" chez Eschbach, l'autre plus sophistiquée, chez Banks, est pour moi révélatrice : d'une part du fait que sous le nom de science, c'est de technique (ou plutôt de description à apparence technique, les mots remplaçant là aussi les choses) ou de technologie, qu'il est le plus souvent question en SF ; elle est d'ailleurs amenée à le reconnaître elle-même (pp.180-81) pour expliquer le "retard à l'allumage" de la SF fin XIXe par rapport à la naissance de la science moderne aux XVII-XVIIIe, alors que le décalage chronologique avec l'explosion technologique est beaucoup moins grand ; révélatrice, d'autre part, du constat que même la technique a, petit à petit, tendance à disparaître des textes qui nous occupent. J'ai déjà noté son regret de l'absence d'un parallèle sérieux entre évolution de la SF et évolution des sciences et techniques, mais je crois que cette absence est principalement liée au fait qu'au fond la SF se préoccupe moins de la science et de la technique que, beaucoup plus généralement, du caractère plausible des environnements qu'elle propose, et de leurs connotations psychologiques, sociales, historiques, en tant qu'éléments parmi d'autres, ou encore de l'utilisation de gadgets comme ressort superficiel pour des récits d'aventures. |
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La troisième partie, "Dans la machine science fictionnelle" est elle aussi un peu hétéroclite. |
Finalement, c'est à travers tout le livre que l'ambition de s'en tenir à une analyse de la SF à travers "son fonctionnement verbal, textuel, scriptural, littéraire"(p. 7) n'est pas toujours tenue, est trop souvent débordée. On le regrettera, certes, mais d'une part ce qui obéit au programme est déjà largement au-delà de ce qu'on lit souvent en la matière, d'autre part les analyses non strictement littéraires qu'elle nous donne ne sont pas, loin de là, dénuées d'intérêt. C'est un début, des suites se profilent, félicitons-nous en, et attendons avec impatience les analyses qu'elle ne manquera pas de nous donner bientôt. |