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Lectures SF - Critiques 10
30/10/07, MàJ déc. 07


Cette rubrique critique est restée de nouveau inactive pendant un bon moment, cette fois-ci faute de temps. J'ai des bonnes raisons de penser que cette situation va s'améliorer dans les mois à venir...

Pour cette reprise, j'ai jeté mon dévolu sur le Hugo 2006, d'abord à cause de cette récompense, ensuite parce que j'avais gardé un très bon souvenir d'autres ouvrages du même auteur, Darwinia et surtout Chronolithes.
Donc voici quelques mots à propos de Spin, de Robert Charles Wilson, Paris, Denoël, 2007, 560 p. coll. Lunes d'Encre. (Spin, 2005, trad. par Gilles Goullet).

Mais d'abord, la traditionnelle quatrième de couverture, qui me permet comme d'habitude de donner une idée de la chose sans engager ma responsabilité :

Une nuit d'octobre, Tyler Dupree, douze ans, et ses deux meilleurs amis, Jason et Diane Lawton, quatorze ans, assistent à la disparition soudaine des étoiles. Bientôt, l'humanité s'aperçoit que la Terre est entourée d'une barrière à l'extérieur de laquelle le temps s'écoule des millions de fois plus vite. La lune a disparu, le soleil est un simulacre, les satellites artificiels sont retombés sur terre. Mais le plus grave, c'est qu'à la vitesse à laquelle vieillit désormais le véritable soleil, l'humanité n'a plus que quelques décennies à vivre...
Qui a emprisonné la terre derrière le Bouclier d'Octobre? Et s'il s'agit d'extraterrestres, pourquoi ont-ils agi ainsi ?
Spin est le roman le plus ambitieux de Robert Charles Wilson à ce jour. Une ambition récompensée en septembre 2006 par le prix Hugo, la plus haute distinction de la science-fiction.

Et puis quelques critiques, glanées çà et là :
- Le Cafard cosmique sous la signature de Daylon, que j'ai connu moins anglo-jargonnant : "Spin réhausse une fois de plus la barre qualitative de quelques degrés" ; "là où Spin dépasse les autres productions signées WILSON, c’est par l’intelligence des idées" ; "L’auteur nous montre une fois de plus sa capacité à gérer des histoires depuis des subjectivités humaines".
- Hélène Herzfeld, sur le site de quarante-deux : "Récit très psychologique, c'est aussi par certains côtés un “techno-thriller”, et indiscutablement une réflexion cosmologique sur la place de l'Homme dans l'univers", point de vue que je trouve un tantinet surdimensionné !
- "Chronique douce amère d'une apocalypse soft" nous dit Maxence Grugier sur Fluctuat.net.
- Christian Sauvé sur la fractale framboise : "Wilson (...) écrit de l’authentique science-fiction qui demeure tout de même accessible à quiconque ne lit pas de la SF à chaque semaine".

Spin, de Robert Charles Wilson

On lira aussi les critiques de Jérôme Vincent sur actusf, de Jane Doe sur bibliofolle, de Grégoire Courtois sur troudair, ainsi que de Philippe Curval dans le Magazine littéraire d'avril 2007 et de Jacques Baudou dans le Monde des livres du 8 juin dernier.

* * *

Pour une fois, la "prière d'insérer" est à peu près fidèle au roman et elle n'en déflore pas trop l'intrigue... J'en ajouterai cependant un petit peu dans la défloration en disant qu'il y a aussi une terraformation de Mars, une transformation biologique artificielle des humains, la présence d'un émissaire de la Planète Rouge, le rôle énigmatique joué par d'Hypothétiques (c'est le nom qu'on leur donne) extraterrestres, etc. Cette richesse thématique foisonnante s'ajoute au thème de l'événement dévastateur ou cataclysmique inattendu, lequel est presque la marque de fabrique de Wilson : la disparition complète en 1912 de l'Europe occidentale telle que nous l'avons connue (Darwinia), l'irruption d'artefacts gigantesques venus de l'avenir (Les Chronolithes), l'isolement soudain d'une bourgade du Middle West (Mysterium), etc.

Ici donc, c'est l'isolement de la Terre à la fois dans l'espace et dans le temps, avec comme perspective la fin du monde dans quelques décennies. Si la science-fiction est une littérature du réel, un expérience de pensée pratiquée sur la société dans laquelle nous vivons, alors Wilson est un partisan de la manière forte : les grandes tendances de l'évolution historique chères par exemple à K. S. Robinson l'intéressent moins que le traitement de choc.

Mais ce traitement de choc a des conséquences narratives multiples : l'idée, très intéressante, selon laquelle l'accélération du temps sur la Terre (et sur elle seule) permet d'avoir un délai largement suffisant pour "semer" la vie sur Mars, puis pour y envoyer des êtres humains, dans l'espoir que ceux-ci évolueront et reviendront sauver la Terre de la menace qui pèse sur elle, structure parfaitement une construction en aller-retour. Je suis moins convaincu par l'invention martienne d'un traitement de longévité, qui me semble un peu plaqué sur la trame principale, sans lien très fort avec elle. Mais tous ces éléments sont présentés avec un minimum de vraisemblance, et sans trop de didactisme technique, comme quoi on peut faire de la "hard science" sans ouvrir trop de "tunnels" encyclopédiques.

Les critiques ont insisté à juste titre sur le côté psychologiquement "humain" du roman, qui met en place des personnages construits et complexes. Oserai-je dire que c'est la moindre des choses, et que si on peut s'en féliciter, on peut aussi regretter qu'il soit encore nécessaire de souligner cette qualité. J'ajoute d'ailleurs que je suis personnellement moins enthousiaste sur ce point, les personnages n'étant quand même pas si éloignés que ça de stéréotypes un peu convenus, un de leurs défauts majeurs étant que, du début (parents ou adolescents) à la fin (l'âge mûr venu) ils ne changent pas beaucoup.

Peut-être est-ce dû à la construction du roman, autour d'une série de retours en arrière du narrateur, sur le point de quitter notre monde (je n'en dirai pas plus), et qui se place donc de son propre point de vue...

Un des lieux communs de la critique SF contemporaine est que le terme "science" dans "science-fiction" peut parfaitement représenter des sciences dites "humaines". Outre que, dans ce cas, il faudrait considérer le roman psychologique ou historique traditionnel comme relevant de la SF, on devrait pouvoir attendre d'un auteur de SF autant de vraisemblance dans ce domaine que pour les sciences "dures". Certes, ces dernières ont un caractère prédictif nettement plus affirmé que les premières, mais j'avoue n'avoir pas été très convaincu par ce que Wilson nous présente des conséquences de l'événement sur les populations mondiales, comme le souligne également Freddy François sur phenixweb.

Ou alors, il aurait fallu argumenter un peu plus sur cette apparente passivité...
Il y a en effet une sorte de contraste entre l'énormité de ce qui arrive à la Terre (un peu incroyable, quand même, surtout dans un contexte pépère du début du 21e siècle, on n'y croit pas trop, mais après tout, qui sait ? Ce peut être aussi ça, la SF !) et la relative modération des réactions générales qui en sont la conséquence... Car il y a au fond peu de bouleversements majeurs, sinon, comme on pouvait s'y attendre, quelques mouvements de foule çà et là et quelques vagues de fondamentalisme religieux, sur lesquels Wilson insiste un peu plus, mais rien qui paraisse être vraiment à l'échelle de l'événement.

Alors, à l'heure (octobre 2007, sans le moindre Spin à l'horizon) où un candidat sérieux à l'investiture républicaine, Mitt Romney, à qui le Times de Londres demande "Croyez vous que Jésus Christ soit déjà venu aux États-Unis et reviendra dans le Missouri?" (ce qui est une des croyances de sa religion, il est Mormon) répond tranquillement : "Je ne vais pas me séparer de ma foi. J’accepte les doctrines de mon Église et fais de mon mieux pour les respecter" on se dit que si Wilson est audacieux sur le plan scientifique, il est bien décevant et timide sur le plan de la réalité sociale...
On se laisserait parfois aller à dire "Tout ça pour ça ?".

Et puis il y a un côté américano-centré qui est très irritant... Les trois héros sont États-uniens, les réactions religieuses dont je viens de parler ne semblent concerner essentiellement que la religion chrétienne, et en son sein principalement ses courants pas trop éloignés du Bible belt, toutes les opérations spatiales sont décrites à Cap Canaveral (Baïkonour, Kourou, Tanegashima ou Taiyuan, pourtant tout aussi actives en ce début de XXI° siècle, où commence le roman, ne sont citées que par politesse), les décisions capitales concernant l'ensemencement de Mars ou d'autres choix stratégiques fondamentaux que je ne citerai pas ici pour ne pas trop dévoiler l'intrigue ne semblent quasiment concerner que le gouvernement US et ne relever que de lui (sauf une exception chinoise). Et non seulement le narrateur ne semble pas trouver cela anormal, mais apparemment l'auteur non plus, ni d'ailleurs les différents États de la planète ou l'ONU, qui n'en disent mot, et apparaissent, quand il en est, rarement, question, comme des figurants presque absents. Et où croyez-vous qu'atterrit le Martien ? Eh bien, en plein milieu du Manitoba, c'est-à-dire sinon aux États-Unis, du moins vraiment pas bien loin !

Bon, malgré ces quelques remarques, le Hugo reçu par ce livre est quand même largement mérité, au fond, et d'ailleurs le jury du Grand Prix de l'Imaginaire, volant au secours de la victoire, vient également de le couronner aux Utopiales de Nantes, dans la catégorie Roman étranger. Que demande le peuple ?
Rien d'autre semble-t-il, puisqu'il paraît que le livre est en train de battre des records de vente en France... Tant mieux !

Je voudrais pour finir saluer la qualité de la traduction de Gilles Goullet, excellente et fluide (même si "blood pressure" en français courant c'est "tension" plutôt que "pression sanguine" et s'il a cette habitude un peu agaçante de toujours traduire "just" par "juste" alors que très souvent il s'agit plutôt de "seulement").
La couverture (signée Manchu) n'illustre qu'une des multiples péripéties du roman, et risque de tromper sur son contenu réel. Celle de l'édition originale était plus fidèle à la trame générale du livre...