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Lectures SF- Critiques 1
04/09/05, Màj 25/09/05


Voilà typiquement un exemple d'ouvrage acheté sur la foi de critiques presque unanimemement enthousiastes, mais auxquelles je regrette vraiment d'avoir fait confiance : Days, de James Lovegrove (Bragelonne, 2005, 320 p. traduit par Nenad Savic).


Qu'on en juge :
D'abord en Angleterre, où cet ouvrage est paru en 97 : "Exceptionnal brilliance" (Interzone), "Sharp funny and brutal", (the Times), "A clever and imaginative take on the consumer mindset" (Rick Kleffel, The Agony Column Book Reviews and Commentary), "Lovegrove est au XXIe siècle ce que Ballard fut au XXe" (Bokkseller, cité par la quatrième de couverture de l'édition française).
En France , ensuite, où je les avais repérées d'abord : "Days est incontestablement un des meilleurs romans de SF de ce début d'année." (Jacques Baudou, Le Monde des livres), "un écrivain dans la tradition d'Orwell et de Ballard" (Jean-Yves Bochet, Télérama), "L'excellent Days de James Lovegrove" (Le magazine littéraire). Et même, plusieurs mois après, en tête de la sélection SF de la rubrique : "Un été très livre" de la FNAC, et cité à nouveau par Baudou dans Le Monde.

De quoi s'agit-il ? Voici ce qu'en dit la quatrième de couverture :

"Chez Days, vous pouvez tout acheter : un livre rare, un tigre albinos, les filles du rayon Plaisir. Tout... pourvu que vous disposiez de la somme sur votre carte de crédit.
Car Days est le plus grand magasin du monde, presque une ville, sur laquelle règnent sept étranges frères dont les noms sont les jours de la semaine.
Ce matin, Frank a décidé de démissionner. Il travaille chez Days, à la sécurité, il a le permis de tuer. Mais il ne peut plus se voir dans un miroir. C'est dit, ce sera son dernier jour.
Au contraire, Linda vient enfin d'obtenir sa carte Days et a hâte de jouir de son nouveau droit d'acheter.
Un jour comme les autres... ou presque. Les rayons Livres et Informatique se déclarent une guerre sans merci pour garder leur espace. La vente flash au rayon Cravates fait des blessés. Des individus sans histoire se croisent et se percutent . Il suffit d'un grain de sable dans les rouages d'une vie pour basculer dans le drame.
C'est un jour de la vie de ces gens-là que raconte Days, minute par minute. Des gens qui vivent dans un supermarché. Comme vous ?"

* * *

Un super-grand magasin... Pourquoi pas ? Le problème est qu'il est difficile de croire une seule seconde à celui-ci. Plus de 6 kilomètres carrés, 7 étages, mais il faut des années pour acheter, très cher, la carte de crédit qui permet d'y accéder, technique commerciale restrictive assez étrange pour un commerce de masse : les clients ne devraient pas être très nombreux ! Qui dirige ce mastodonte ? Une armée de directeurs commerciaux et de techniciens marketing ? Que nenni : sept frères à divers degrés de dérangement mental, successeurs d'un fondateur apparemment pas plus clair que ses fils... Des méthodes commerciales novatrices ? On n'en voit pas, et ce qui fait la moitié du fonctionnement d'une entreprise de vente, à savoir les achats, il n'est est pas question. Il se situe dans un monde futur profondément transformé ? Peut-être, peut-être pas, on n'en saura rien. Tout ce qu'on nous en dit, ou presque, c'est qu'il existe d'autres de ces mastodontes du commerce... Quasiment toute l'action se passe en son sein. Bref, un artefact factice, en carton-pâte, artificiel.
Alors les tribulations d'un flic interne, agent de sécurité en proie à un doute métaphysique guère passionnant, on n'y croit pas trop... Entendons-nous : je ne demande pas à un monde imaginaire d'être vraisemblable à 100%, mais simplement d'avoir une minimum d'épaisseur par rapport à lui-même. Or, ici, c'est loin d'être le cas. Il y a toute une série d'éléments, plus ou moins intéressants, amusants ou surprenants mais, outre qu'ils sont rares, ils sont juxtaposés sans cohérence, et cela reste extrêmement superficiel.
Et puis, à trop exagérer le trait, sans vraie justification, on en diminue la force. De ce point de vue, la description des ventes "flash", aux rabais considérables, est si exagérée, attendue, et caricaturale qu'elle n'est pas crédible un instant. Quant à la rivalité entre le rayon librairie et le rayon informatique, supposée sans doute refléter une éventuelle querelle des anciens et des modernes, elle ne tient pas debout.
Alors la comparaison avec Ballard... Ce dernier peut souvent être aussi ennuyeux, mais c'est quand même autrement plus fort ! Et, comble pour un texte de science-fiction, il me suffit de contempler certain centre commercial de ma connaissance, à la tombée du jour, pour y deviner des choses bien plus extraordinaires.
Non, trop c'est trop... Seul le "Cafard cosmique" fait exception à toutes ces critiques flatteuses : "Tout reste ici très commun pour nous autres, la seule différence se joue dans les proportions" et l'auteur "est passé à côté de quelque chose qui aurait pu être plus intéressant". On ne saurait mieux dire : le grossissement ne débouche ici sur aucune idée, aucune vision, aucune analyse sous-jacente...
Bref, on peut s'en passer...